Pour faire suite à mon précédent article du 19 octobre 2017, voici donc ma petite (en)quête personnelle sur le respect du droit d’auteur
« Viva Las Vegas internet »
Suite à l’utilisation relativement massive de mon image de Jacques Dubochet, sans mention du copyright dans la majorité des cas, j’ai réagi. Ce n’est pas tout à fait un combat pour faire valoir mes droits, mais plutôt une réaction à faire respecter le droit d’auteur en général. La mise à disposition sur internet de cette image ne dispense pas d’un minimum de savoir vivre
C’est l’une des faces obscures d’internet: la sensation que tout est gratuit et libre de droit. Mais là où le bât blesse, c’est quand cela est fait de manière professionnelle
Le comble de l’ironie, tous ces sites ont pourtant le même genre de petit texte en bas de page: « Unauthorized distribution, transmission or republication strictly prohibited. » C’est normal de le mentionner, mais je me demande quel est le pourcentage de document « emprunté » sur ce genre de site… Il va falloir que je complète mon texte au bas de page… Ou alors ne plus rien montrer, mais c’est une autre histoire
Alors, au boulot!
Contacter ces sites d’informations n’a pas été une mince affaire, cela a même été parfois impossible. Trouver la page de contact d’un site chinois, par exemple, demande un peu de patience. Les chinois sont d’ailleurs très représentés dans les résultats
Pour celui-ci, vu le look de la page d’accueil ce jour-là, je n’ai pas insisté. J’ai tout de même l’intention de visiter un jour ce pays…
Et donc
Entre le 25 octobre et 28 octobre 2017, j’ai contacté 54 sites d’information, par e-mail ou par un formulaire de contact du site, voir à travers les réseaux sociaux. C’est beaucoup, mais loin du compte. Et mon courage pour enquêter a ses limites (les chinois m’ont usé). Ce sont donc les 54 premiers où il a été possible d’agir. Voici le message transmis aux adresses de contact:
« Dear friend journalist, thank you for using my photography. It’s free, so no worries. Nevertheless, out of respect for my work, could you add the mention of the copyright on with the photograph in your article: (lien vers l’article en ligne concerné)
With my sincere greetings
Willy Blanchard
Copyright: © Willy Blanchard, EMF, University of Lausanne
Original image here: (lien vers notre site) »
Suivis de mes coordonnées, (Version française: Chers amis journalistes, merci d’avoir utilisé ma photographie. C’est gratuit donc pas de soucis. Néanmoins, par respect envers mon travail, pouvez-vous ajouter mon copyright avec l’image utilisée dans votre article : (lien vers l’article en ligne) Avec mes sincères salutations (…) )
Pas une seule erreur de transmission en retour, tous les messages semblent être bien partis, c’est déjà ça
Où donc ai-je atterri ?
Mon périple sur la toile: Une petite statistique par pays des 54 sites sans scrupules contacté:
Pays | Nombre de sites contacté |
Afrique du Sud | 1 |
Allemagne | 1 |
Angleterre | 1 |
Arménie | 2 |
Canada | 2 |
Chine | 16 |
États-Unis | 1 |
Inde | 7 |
Iran | 1 |
Italie | 2 |
Liechtenstein | 1 |
Mexique | 3 |
Ouganda | 1 |
Palaos | 1 |
Pérou | 1 |
Russie | 1 |
Suisse | 9 |
Tchéquie | 1 |
Turquie | 2 |
« And the winner is: China sixteen point«
On constate que les chinois sont les plus représentés, évidemment vous me direz « c’est un grand pays« . Le résultat montré ici est en réalité plus important, mais comme cité plus haut; pas facile de se promener sur un site en mandarin, même avec l’aide de Google translate. Bref, j’ai voulu tester une chose: le terme « droit d’auteur » existe-t-il dans ce pays ? Et bien oui, et cela donne ceci: 版權 . J’avais un doute, me voilà rassuré…
Résultats
Étant donné que j’ai contacté tout ce petit monde via les liens des sites, nul besoin d’attendre trop longtemps. Après tout, cela ne leur a pas pris si longtemps pour trouver mon image (pour rappel, dans l’heure qui a suivi l’annonce du prix Nobel, mon image était déjà bien sauvagement diffusée). Le 1er novembre je passe au décompte du nombre de réponses reçues: 9 sur 54… Les trois points de suspension prennent ici tout leur sens
- La première réponse reçue était claire mais un tantinet laconique:
Cela n’était pas le but, mais je m’attendais à ce genre de réponse
- Une autre réponse pour me dire qu’on ne peut pas modifier l’annonce en ligne. On me demande si je souhaite quelle soit supprimée ? Évidemment non, cette actualité a plus d’importance que mon égo. Mais merci d’avoir demandé
- L’un d’eux m’a répondu qu’il ne pouvait pas faire de modification, l’article étant rédigé par une autre agence. (Je me permets une remarque personnelle: de plus en plus de journaux/agences fusionnent et diffusent la même information. Je trouve cela malsain de se rapprocher de plus en plus vers la pensée unique.)
- Et les 6 autres pour s’excuser et me faire savoir qu’ils ont ajouté la mention du copyright, ouf
« Y’a plus qu’à vérifier! »
Certains sites ont peut-être simplement ajouté la mention de mon copyright, sans s’excuser, ou alors supprimé l’actualité, voir aucune réaction du tout. J’ai donc ouvert les 54 liens pour juger du respect que l’on a pu m’accorder (je tiens la liste à disposition, mais je ne la diffuserai pas ici. Page de contact)
Je tiens à souligner que sur les 9 rédactions suisses contactées, seulement deux ont répondu et un seul a ajouté la mention du copyright. À ce niveau, je ne sais si il faut parler de mépris, ou de « j’m’en foutisme »… Dans les deux cas, c’est déplorable. Sans doute qu’avec l’appui d’un juriste j’aurai eu plus de succès, mais comme je l’ai mentionné; c’est plus une enquête qu’une chasse aux sorcières. Peut-être que mon message n’était pas suffisamment menaçant, mais je garde espoir que la politesse a encore de l’avenir dans ce monde
Statistiquement parlant, les rédactions chinoises ont été plus réactives qu’en suisse, et ça, je ne m’y attendais pas du tout! Et ce, malgré la barrière de la langue
Résultat en chiffre
Le résultat de cette expérience, aussi petite soit-elle, est effrayant pour la profession de photographe (entre autres)
- 1 article sur les 54 a été supprimé
- 1 article avec suppression de l’image
- 40 sur 54 n’ont rien modifié (74%)
- 12 ont ajouté la mention demandée (22%)
Alors quoi faire ?
Pour ma part, rien de plus. Je voulais juste démontrer l’étendue des dégâts de notre civilisation numérique et le manque de respect qui en découle. Cette image largement diffusée appartient à la collectivité (Université), donc libre d’utilisation, mais la propriété intellectuelle (copyright) demeure. Il est juste dommage que notre mentalité soit devenue si irrespectueuse. Et de plus en plus, c’est aux victimes de se justifier. Ce constat s’applique aussi dans d’autres domaines malheureusement
Merci pour votre lecture, n’hésitez pas à partager sur vos réseaux
La première partie de cet article est ici
Willy Blanchard, 2 novembre 2017, tous droits réservés (!)