Je profite de l’occasion, qui ne m’arrivera sans doute plus jamais, de décortiquer un événement plutôt spectaculaire, du moins de mon point de vue. J’ai hésité avant d’écrire cet article, mais cela me semblait nécessaire d’en parler la moindre. Cela a dû arriver maintes et maintes fois, c’est juste un constat supplémentaire. Et je trouve cela très instructif.
Prix Nobel de chimie
Le 4 octobre 2017, l’annonce a fait le tour de la planète, et pour cause, les lauréats du prix Nobel sont très médiatisés. Ce fut donc le cas pour mon ancien directeur, Jacques Dubochet, Professeur à l’Université de Lausanne. Il est avisé peu avant 11h00 du matin, certainement juste quelques minutes avant les agences de presse, qu’il reçoit le prix Nobel de chimie conjointement avec deux autres scientifiques. Bref, cela a été très vite. Trop vite pour les agences, et toute la presse mondiale, du moins pour illustrer leurs articles. Car aujourd’hui, il semblerait que plus personne ne lise une « news » si elle n’est pas accompagnée d’une image… Donc, là, c’est le bon moment pour placer une image: ma photographie de Jacques sur un site chinois (copie d’écran, article daté du 4 octobre 2017). Sans mention de l’origine de l’image.
Je profite maintenant pour dire que je suis très heureux pour Jacques, c’est une magnifique récompense pour une vie professionnelle dédiée à la recherche, et ainsi faire progresser les techniques scientifiques et repousser les limites de l’observation au microscope électronique.
Tout va trop vite
Comme je le disais, tout a été très vite, les journalistes se sont donc rués sur Google pour trouver des informations supplémentaires. Et ils ont trouvés l’une des rares images de Jacques de bonne résolution disponible, sur le site web de notre plateforme. Une image que j’ai prise lors d’un symposium en 2015. Et dans l’urgence, personne ne s’est posé la question de la légitimité de prendre ainsi une image et de la diffuser. Pas un e-mail, pas un seul coup de téléphone. Les informations de contact sont pourtant faciles à trouver sur notre site… Tout ceci n’est pas si grave, après tout nous sommes une institution publique, et depuis elle est mentionnée comme libre d’utilisation. Mais, ce qui est plus grave, c’est de ne pas avoir respecté la propriété intellectuelle. Là aussi, je pense que dans l’urgence, on passe outre! Je me demande, si je les contactais tous, je n’aurais pas qu’une seule réponse identique: « c’est la faute à un stagiaire…« . Je veux parler du copyright bien sûr.
« C’est pourtant pas compliqué »
Je suis tout de même surpris que dans le monde des iconographes de la presse, surtout si elle est numérique, personne ne connaissent les IPTC (International Press Telecommunications Council). C’est pourtant une norme créée spécifiquement à leurs intentions… Pour ceux qui l’ignorent, la norme IPTC permet d’inscrire directement dans le fichier image toutes les informations concernant la prise de vue ( lieu, sujet, date, copyright, etc.). C’est un travail à faire manuellement, mais hautement recommandé. Ces informations sont lisibles avec les logiciels de traitement d’images bien sûr, mais aussi par les systèmes d’exploitation, autant Windows que Apple.
Bref, les informations basiques sont facilement lisibles. L’exemple ci-dessus est l’image directement téléchargée de notre site web, celle diffusée à tout va.
Quelques heures plus tard…
La donne a changé vers 15h00-16h00 du même jour. La conférence de presse a permis aux agences photographiques d’immortaliser le portrait de Jacques. Ce qui a fait disparaître mon image d’une bonne quantité de sites d’informations dans les heures qui ont suivi. Toutefois elle reste encore en ligne sur je ne sais combien de news. Google nous affichant ce qu’il veut bien nous montrer, c’est difficile à quantifier.
Exemple: la page Le Temps du 4 octobre 2017
Mise en ligne à 12h00, puis modifiée à 14h32. Notez que ce journal a crédité les images. Je félicite leur professionnalisme. J’étais en congé ce jour-là, j’ai pu voir quelques articles en ligne vers 12h00-13h00, et effectuer quelques copies d’écran, avant d’être rappelé à mon travail, où la RTS était déjà présente! Entre deux, Jacques est passé de Suisse à Vaudois.
Quelques jours plus tard…
Le 15 octobre je décide de faire une recherche par image avec Google. Et bien le résultat est tout de même intéressant:
Tout n’est pas montré, je n’ai pas retrouvé les articles que j’avais lu auparavant, qui pourtant contiennent bien cette image. On constate que le résultat de la recherche s’est bien focalisé sur le cadrage exact de l’image soumise. Mais ceci n’est que la pointe de l’iceberg.
J’ai ouvert les 45 premiers résultats affichés, suffisant pour une se faire une idée. Merci au traducteur Google de m’avoir aidé, c’était très cosmopolite comme activité! Le mandarin et le russe étaient très présents dans les résultats. La légende de l’image mentionnait souvent le CV de Jacques, qui a certainement contribué à une couverture médiatique un peu plus importante.
- Avec mention de mon nom: 1 sur 45, c’est bien peu, je reste donc un photographe anonyme
- Avec mention de l’université sans mon nom: 7 sur 45, c’est déjà mieux
- Sans mention du tout: 32 sur 45
- Autres mentions trouvée: 1x Keystone – 1x DR (droits réservés) – 1x « Imagens da internet » (portugais) – 2x zvg ( le « DR » allemand ? )
Et alors ?
Heureusement que je ne suis pas indépendant, si je devais vivre de la vente de mes images, j’aurais été grincheux, à juste titre. Ceci rappelle combien il doit être éprouvant pour certains photographes de faire valoir leurs droits. Pour ma part, je suis heureux de démontrer qu’une image d’archive de bonne qualité a été utile à bon nombre de médias. Et encore plus heureux que ce soit en l’honneur de Jacques. Ce n’est pas une image exceptionnelle, mais une image de reportage, sans artifice.
Mais encore
Je parlais de la pointe de l’iceberg un peu plus haut. Les résultats de ma recherche Google n’étant qu’une partie du visible sur le net, basée sur un cadrage de l’image précis. J’ai essayé TinEye, mais il est trop tôt pour avoir des résultats. Voici quelques exemples d’images recadrées ou transformées que j’ai pu voir ici et là, certains sites web s’étant même copiés entre eux. Parfois mon image a même conservé ses IPTC. Il est utile de préciser que certains CMS modifient la taille de l’image et effacent ces informations, ce qui n’est évidemment pas bon pour les photographes…
Internet étant tellement vaste, je ne connaitrai jamais l’ampleur de cette expérience. Et une question reste en suspens: comment éduquer les gens à respecter le travail des autres ?
Merci d’avoir lu jusqu’au bout ! Et soyez indulgents c’est la première fois que je fais un article de ce genre. Mais comme j’étais aux premières loges, difficile d’ignorer ce cas.
Et surtout un grand merci à Jacques pour m’avoir autorisé à publier cet article
© Willy Blanchard, tous droits réservés, 18 octobre 2017
23 octobre 2017
On m’a demandé si j’allais réagir à cela. Sur le moment cela m’a paru futile, dans le sens: beaucoup d’énergie pour un résultat moindre. Mais pour le fun, je me suis décidé à contacter ces sites d’information en ligne pour leur demander de mentionner le copyright. Je me réjouis déjà des réponses que je pourrais recevoir. Cela va m’occuper ces prochains jours.
À suivre ici: Couverture médiatique d’une image, 2ème partie